La photo avant Louis Ducos du Hauron

INTRODUCTION A L’AVÈNEMENT DE LA COULEUR

Soyons clair, la couleur en photographie était une préoccupation majeure des photographes et des savants qui s’intéressaient à cet art et ce, dès l’apparition en 1839 du daguerréotype. Il est même probable que l’absence de couleurs à un jour nuit à la diffusion de ce procédé photographique car l’air du temps laissait entrevoir la merveilleuse possibilité un jour prochain de fixer la couleur. Il suffisait d’attendre, ou y palier en colorant l’image photographique à la main.

Toutefois, la dépendance de la photographie couleur aux techniques associant étroitement la physique et la chimie réclamait de vastes connaissances ; un esprit visionnaire et un acharnement que peu de scientifiques pouvaient mettre en œuvre.

LORSQUE COULEUR DEVIENT OBSESSION

Dès septembre 1829, Nicéphore Niepce lui-même prévoyait déjà la photographie couleur. Il écrivait dans un projet d’ouvrage sur l’héliographie (la photogravure) « Elle est le fruit de plusieurs années de recherches sur la solution d’une question également intéressante et curieuse qui en dérive, celle de trouver dans les émanations du fluide lumineux un agent susceptible d’empreindre d’une manière exacte et durable les images transmises par les procédés de l’optique ; de les empreindre, je ne dis pas avec l’éclat et la diversité de leurs couleurs, mais avec toutes les dégradations de teintes du noir au blanc. Je pense, en effet, que s’il n’est pas impossible de découvrir, à l’aide de combinaisons chimiques, une substance phosphorescente qui jouisse de la singulière propriété de retenir les rayons colorés du prisme, il serait bien difficile de se procurer de la sorte une empreinte qui ne s’altérât pas promptement ». Cette réflexion lui venait de la connaissance qu’il avait des travaux de recherche sur la lumière qui « lorsque décomposée par le prisme, elle déploie ses plus riches couleurs » que menait son associé Louis Daguerre. Dans une lettre à son fils Isidore en date du 2 et 4 septembre 1827[1] « [Daguerre] persiste à croire que je suis plus avancé que lui dans les recherches qui nous occupent. Ce qui est bien démontré maintenant, c’est que son procédé et le mien sont tout-à-fait différents. Le sien a quelque chose de merveilleux, et dans ses effets, une promptitude qu’on peut comparer à celle du fluide électrique. Mr Daguerre est parvenu à fixer sur sa substance chimique, quelques-uns des rayons colorés du prisme. Il en a déjà réuni quatre, et il travaille à réunir les trois autres afin d’avoir les 7 couleurs primitives » Il précise même le composé chimique que Daguerre utilise, une poudre très-fine qui réagit avec la plus grande analogie « avec le sulfate de Baryte ou la pierre (phosphore) de Bologne, qui jouit également de la propriété de retenir certains rayons du prisme ». Dans un mémoire déposé à l’Académie des Sciences en 1851, il conclut que l’argent métallique peut se colorer grâce au chlore lorsqu’il est à l’état de chlorure ou de chlorate. Il soulève toutefois les difficultés rencontrées : la surface chimique qui résiste à maintenir plusieurs couleurs à la fois, les altérations colorées, et pire que cela, « cette fixation des couleurs élémentaires se réduit à des nuances fugitives si faibles qu'on ne les aperçoit point en plein jour ».

UNE COURSE CONTRE LA MONTRE

L’attente est telle qu’une véritable passion enflamme les esprits scientifiques de par le monde.

Comme Daguerre et Niépce, Levi Hill, pasteur baptiste américain, va rencontrer cette altération des couleurs. En 1850, il va pourtant affirmer avoir résolu la gageure de fixer la couleur par un procédé de daguerréotype « dans les couleurs de la nature ». Bien évidemment, il obtient un succès immédiat, mais très rapidement le doute commence à fuser puis une grosse controverse émerge des deux côtés de l’Atlantique, pour se terminer finalement dans l’opprobre. Son procédé, dénommé hillotype, faisait appel, probablement pour partie,au coloriage, et Levi Hill ne se releva pas de cette imposture. Véritable photographie couleurs - même si elle fut le fruit du hasard - ou peinture sur daguerréotype ? La question demeure. Et depuis les études et expérimentations de Joseph Boudreau et Mike Jacob, il conviendrait de mener une étude définitive établissant la vérité sur ce qui reste une énigme[2].

Peu de temps auparavant,Edmond Becquerel, cuisinait des produits chimiques afin d’obtenir enfin une recette permettant d’obtenir un produit susceptible de conserver l’image du spectre lumineux. Il y réussit en 1848 sur une plaque argentée tapissée d’une couche sensible de sous-chlorure d’argent ; une mixture connue depuis une décennie par des scientifiques tels que Thomas Johann Seebeck, Sir John Herschel ou Robert Hunt.

Le physicien écossais James Clerk Maxwell travailla à une nouvelle théorie des couleurs débouchant sur la trichromie (1855), mais basée sur la méthode de synthèse additive qui reconstitue une couleur grâce à trois couleurs fondamentales (le rouge, le vert, le bleu) . Il expliqua en 1861 comment le principe pouvait être appliqué à la photographie à la Royal Institution avec sa célèbre photo d'un ruban tricolore. Bizarrement, cette méthode fut quelque peu oubliée avant d’être étudié à nouveau par Hermann Wilhelm Vogel, un scientifique allemand, qui travailla à la production d’émulsions sensibles uniquement aux couleurs primaires. Cependant, il a fallu attendre le début du XXe siècle pour que les émulsions soient suffisamment précises et suffisamment sensibles pour être appliquées à la photographie traditionnelle.

Alphonse Poitevin

Le français Alphonse Poitevin présente lors de l’exposition universelle de 1867 des héliochromies de Niépce qu’il a tiré sur glace ou papier. Améliorant son procédé, il prendra d’ailleurs un brevet d’invention le 18 décembre 1865 et en confiera l’exploitation commerciale et industrielle à la maison Garin, Guilleminot et Berthaud de Paris.

Mais la fixation de la couleur reste toujours aléatoire, à tel point que nombre d’éminents chercheurs songent à remettre en cause cette tambouille. Car la lumière est chiche et si elle offre la couleur, elle ne prête que temporairement, reprenant son bien au grand désespoir de l’homme. Et puisqu’elle se montre intraitable dans son intégrité obstinée, l’homme lui volera son bien en la violant, décomposant sa lumière dans les trois couleurs primitives, la méthode « indirecte » !

UNE LUMIÈRE DÉCOMPOSEE

Deux hommes eurent simultanément l’idée de cette méthode, Charles Cros et Louis Ducos du Hauron. Au contraire de Ch. Cros quelque peu démuni de preuve tangible[3], Louis Ducos du Hauron eut la précaution de démontrer la véracité de son procédé en présentant le 7 mai 1869 une preuve matérielle à l’assistance de la Société Française de Photographie ; une nature morte d’éléments naturels tels que des feuilles d'arbres déposés sur une surface transparente(probablement une vitre) photographiée par contact en chambre noire, en la soumettant à une exposition assez longue. Cette photographie sera présentée en février 1870 avec un cartel de la main de Ducos du Hauron précisant « Reproduction collographique de feuilles et de pétales de fleurs d'après un trio de négatifs dont le tirage en gélatine fut produit sous forme de diaphanie[4] dans une séance de la Société Française de Photographie (février 1870) ». Il s'agit donc là de la première véritable photographie couleur au monde[5].

Dans un premier temps Louis Ducos du Hauron utilisera un procédé photographique qu'il nomme trichromie basé sur la décomposition de la lumière en trois couleurs de base parsélection du jaune, du magenta et du cyan. Puis il associe ces trois résultantes afin de recréer une image en couleur.

Dans un second temps, il développera deux techniques photomécaniques ; la photoglyptie très proche de la technique au charbon et la phototypie, qui deviendront un élément majeur de l'impression couleur de masse.

Il décrira ses techniques dans diverses publications au cours de sa vie entre 1869 et 1920 avec l'aide de son frère qui le soutiendra moralement et financièrement tout au long de sa vie.

Ce que nous verrons plus en détail par la suite ici[6]

REPRESENTER LA NATURE VA AU-DELA DE LA COULEUR

La couleur n’est toutefois qu’une étape aux yeux des savants et photographes. La nature n’est pas statique, elle bouge. La nature n’est pas plane, elle propose de la profondeur. Et naturellement, se pose la question des restitutions du mouvement et du relief. Comment alors s’étonner que ces savants se penchent sur ces questions. Parallèlement aux recherches sur la couleur, nombre d’entre eux tenteront de produire des artefacts qui aboutiront au cinéma et à la vision en relief.

Louis Ducos du Hauron sera l’un d’eux et le fait qu’il résoudra pour partie les questions de la couleur, du mouvement et du relief donne une aura toute particulière à son génie.

Nous verrons plus en détail ces travaux sur le cinéma ici[7]

Nous verrons plus en détail ces travaux sur le photographie en relief ici[8]



[1] Lettre manuscrite à Isidore Daguerre (Collection du Musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône.

[2] Voir à ce propos, "Le point de vue françaisdans l’affaire Hill" de François Brunet dans le N° 16 des études photographiques de Mai 2005 : Colloque « Photographie, les nouveaux enjeux de l’histoire » ou en ligne sur https://journals.openedition.org/etudesphotographi...

[3] Charles Cros ne présentera sa première photographie couleur qu’en 1876. Il s’agit d’une nature morte également (un tableau, un verre et une assiette), et cette mention manuscrite « premier tirage de mon procédé de photochromie. A Victor Meunier, mon parrain scientifique). Cette photo fait partie de la collection de la bibliothèque centrale du Muséum d’histoire naturelle de Paris.

[4]Terme qu'utilisait LDH pour nommer une diapositive

[5] Elle figure encore aujourd’hui au musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône. (MNN 1979.46.8. Format : 22,5 x 16,5 cm.)

[6] Lien vers d’autres pages présentant la trichromie

[7] Lien vers d’autres pages présentant le cinéma

[8] Lien vers d’autres pages présentant la 3D