Comme il avait été l’inspirateur de la photographie couleur, tant par ses fresques animalières, son bestiaire peint que ce soit à Lascaux, Cosquer, Niaux ou Altamira, il y a 35 000 ans, notre ancêtre préhistorique a, sur ses peintures rupestres et pariétales, restitué le mouvement de l’animal en le dotant de huit pattes, voire d’une succession de têtes, comme la grotte Chauvet en apporte le témoignage.
Dans la lumière vacillante, comme celle d’une torche, il nous donne l’illusion du mouvement.
Mieux encore ! Les archéologues de la grotte de Laugerie-Basse en Dordogne qui, au départ, avaient pris des rondelles de corne ou d’os, percées d’un trou central, et décorées d’un chamois bouquetin ou d’un cheval, crurent au départ qu’il s’agissait de boutons réalisés par l’homme de Cro-Magnon, notre ancêtre préhistorique.
Le thaumatrope préhistorique que l’on avait pris au départ pour un bouton (Repro jardin de Limeuil en Dordogne).
Aujourd’hui, ils ont revu leur appréciation. En fait le trou central enfilé sur une baguette ou actionné par une cordelette, peut tourner et l’effet ainsi produit n’est autre que l’ancêtre préhistorique d’un thaumatrope. En tournant, la rondelle restitue le mouvement de l’animal, selon le principe de la persistance rétinienne. Comme le fera au XIXème siècle le jouet « réinventé » par un physicien anglais en 1825 John Ayrton Paris.
Ce sont bien là les prémices du cinéma, les scientifiques[1] s’accordent à la reconnaître sans manquer de citer en référence l’expérience de l’anglais Eadweard Muybridge en 1877. Ce dernier avait multiplié les prises de vues de 12 puis 24 appareils photos déclenchés au passage par le cheval lui-même en course à la faveur de fils tendus qui déclenchaient tour à tour les obturateurs.
Muybridge obtient ainsi une succession de clichés restituant la vitesse et le mouvement de l’équidé.
C’est ce qu’on appellera la chronophotographie (prémice de la prise de vue en rafale) que le français Albert Londe facilitera en réalisant la première « caméra » au monde sous la forme d’un appareil photo rassemblant douze chambres photographiques.
La restitution du mouvement est, dès le XIXème siècle, une préoccupation qui peut se mesurer au nombre de brevets d’invention déposés d’appareils de vision ou de jouets optiques élaborés, plantoscope, zootrope, thaumatrope, praxinoscope. Le principe de ces divers systèmes est de reconstituer le mouvement soit par un jeu de miroirs centraux soit par les fentes meurtrières d’un cylindre tournant et éclairé qui offre à l’œil l’illusion de bandes dessinées animées.
Mais on n’obtient que l’illusion du mouvement. Aucune de ces inventions ne le restitue en temps réel.
Le vœu protocinématographique qui nourrit Louis Ducos du Hauron est de reproduire photographiquement comme il l’écrit: « une scène quelconque avec toutes les transformations qu’elle a subies, le défilé d’un cortège, une revue, des manœuvres militaires, les péripéties d’une bataille, une scène théâtrale, les évolutions et les danses d’une ou de plusieurs personnes, les jeux de physionomie et, si l’on veut, les grimaces d’une tête humaine, une scène maritime, le mouvement des vagues (mascaret), la course des nuages dans un ciel orageux, particulièrement en pays de montagnes, l’éruption d’un volcan »[2].
C’est dès 1864, 30 ans avant les frères Lumière (Auguste et Louis sont nés à Besançon en 1862 et 1864), que le principe même du cinéma est ainsi défini par Louis Ducos du Hauron. Et on a de cela la preuve irréfutable, à savoir le brevet qu’il dépose au mois de mars de cette même année (Brevet n° 61 976 déposé en mars 1864 par Louis Ducos du Hauron auprès de l’Institut national de la propriété industrielle) auquel nous nous référons ici.
Certes le terme « cinéma » apocope de « cinématographe », dont l’étymologie est grecque et vient de « Kinêma » qui signifie « mouvement » et de « graphein » qui veut dire « écrire » sera inventé par le français Léon Bouly en 1892. Il l’orthographie d’ailleurs avec un « K ».Il sera repris par les frères Lumière qui l’écriront avec un « I ».
Louis Ducos du Hauron, lui, en intitulé de son brevet de cinéma, utilise une périphrase pour décrire son appareil de prise de vue : « destiné à reproduire photographiquement une scène quelconque avec toutes les transformations qu’elle a subies pendant un temps déterminé ».
Personne, jusque-là, n’avait eu l’idée d’enregistrer par un procédé photographique la totalité d’une scène et son mouvement. La photographie ne permettait en effet que de figer des sujets dépourvus de tout mouvement.
Et Louis Ducos du Hauron ne se borne pas à théoriser le futur cinéma. Il en donne une préfiguration iconographique. Son premier brevet aborde ainsi, avec des schémas, la pratique de la prise de vue cinématographique et décrit un premier appareil, destiné à réaliser des photographies successives de mouvements, doté pour cela de plusieurs objectifs tournants.
Dans son additif à ce premier brevet[3], Louis Ducos du Hauron se montre plus précis et va plus loin que le reproduction d’une scène en mouvement : « Mon mécanisme à lentilles se charge de donner au temps des ailes bien autrement rapides que celles dont parlent les poètes »
Et il poursuit : « On peut condenser en quelques instants une scène qui a duré un laps de temps considérable. Par exemple la croissance des arbres et des plantes et tous les phénomènes de la végétation, la construction d’un édifice, d’une ville entière, la succession des âges sur un même individu, la croissance d’une barbe ou d’une chevelure. Reproduire la rotation des astres et les changements qui s’opèrent à leur surface (phases de lune, taches du soleil).
C’est là le principe de l’accéléré, procédé qu’en 1898, soit 34 ans après Ducos du Hauron, l’américain Dikson applique à New York en photographiant la construction du Stark théâtre et en fixant une photo toutes les trente minutes.
L’accéléré a un corollaire qui est le ralenti.
« Réciproquement, explique LDH, on pourra faire se succéder avec lenteur des transformations que leur rapidité rend quelquefois insaisissable à la vue. On peut aussi intervertir l’ordre dans lequel une scène ou un phénomène s’accomplit, c’est-à-dire commencer par la fin et finir par le commencement ».
Comme un plongeur qui ressort de l’eau et revient sur le plongeoir initial de la scène. Précisément ni plus ni moins la description du trucage cinématographique que Méliès mettra en pratique.
Et Louis Ducos du Hauron imagine aussi le dessin animé : « On peut se servir de la photo elle-même pour reproduire en petit le sujet animé qu’on aura d’abord dessiné en grand. Dans un bon nombre de cas on pourra au lieu de photographies employer des dessins savamment combinés. On peut également allier la photo au dessin en dessinant sur un fond photographique un sujet animé qui se transformera d’épreuves en épreuves ».
Ducos du Hauron a aussi préfiguré la travelling : « La chambre noire sera installée sur une petite voiture que l’on fera avancer . On comprend dès lors que les objets paraîtront s’avancer vers les spectateurs ou s’en éloigner ». Un effet qui fera fuir les spectateurs de la salle quand les frères Lumière projetteront le film d’un train entrant en gare de La Ciotat.
Ducos du Hauron est aussi le précurseur de la photo panoramique à l’aide d’un miroir courbe. C’est ce qui, donnera naissance au cinémascope qui sera pour la première fois utilisé en 1953 par la 20th Century Fox et par le biais du film « The Robe » (La Tunique) d’Henri Coster avec l'acteur Richard Burton.
« Si on veut ajouter du relief stéréoscopique, il suffit de doubler les appareils de prise de vue », préconise aussi le savant agenais. C’est l’anaglyphe et carrément la 3D, ou le cinéma en relief de Louis Lumière.
Reste à concrétiser ses idées. Plutôt que la plaque de verre émulsionnée qu’il propose dans son premier brevet, Louis Ducos du Hauron préconise dans son additif en date du 20 janvier 1865 : « Une bande souple stockée sur une bobine débitrice et s’enroulant sur une bobine réceptrice avec un dispositif cranté (de synchronisation). Une manivelle ou un ressort ou encore un moteur quelconque imprimeront le mouvement de rotation uniforme et une lampe électrique portative permettra la présentation aux yeux de toute une assemblée de gens sur une vaste toile exposée au regard d’un grand nombre de spectateurs ».
Louis Ducos du Hauron vient de décrire le projecteur de cinéma, la salle de spectacle mais aussi la pellicule (qu’en 1890 Etienne-Jules Marey concrétisera sous la forme d’une bande de celluloïd sensibilisée, avant George Eastman et sa pellicule souple négative) le projecteur de cinéma, comme la salle de spectacle. On ne peut être plus visionnaire !
En septembre 1920, le journal L’Illustration à l’occasion du décès à Agen de l’inventeur agenais, écrit que Louis Ducos du Hauron a devancé le cinématographe dès 1864 : « Il a pensé à la caméra et au projecteur et même tenté un essai sur le principe du stroboscope devant son habitation d’Agen en filmant boulevard Scaliger un ouvrier pavant une rue avec sa demoiselle ».
Mais ce tout premier « court-métrage » n’a jamais été retrouvé. On ne peut donc le retenir comme une preuve supplémentaire de l’esprit visionnaire de l’agenais.
Comme il n’est pas prouvé qu’il ait construit ses appareils de prise et vue et de projection cinématographiques dont les croquis figurent dans ses brevets.
En 1925, Georges-Michel Coissac publie « L’Eden des Lumière, La Ciotat et le cinéma » Coissac écrit « Le brevet de Ducos du Hauron décrit et figure tout. C’est en vain que nous avons cherché ce rarissime appareil de Ducos et cependant il a existé puisque maints auteurs en ont parlé comme ayant été fabriqué par un serrurier d’Agen. En tout cas nous n’avons aucune raison de mettre en doute la parole d’un savant qui a derrière lui un long passé d’honneur et de loyauté ».
Qu’importe donc : Son brevet de 1864 et ses additifs font foi et autorité. Louis Ducos du Hauron est bel et bien le précurseur du cinématographe.
Dans « L’Eden des Lumière, La Ciotat et le cinéma » une biographie des frères Lumière, les auteurs reconnaissent sans mal que « plus de trente ans avant l’invention du cinématographe, Louis Ducos du Hauron a défini un procédé pour projeter des photographies en mouvement ».
Et d’ajouter : « Dans son additif au brevet, ce savant agenais prévoit de façon stupéfiante dans une description visionnaire, le mouvement, l’accéléré, le ralenti, les trucages, le travelling, la réversibilité projecteur-caméra et même des sujets de films qu’on croirait calqués sur ceux que feront les premiers cinéastes ».
De son côté, son frère Alcide dans un livre dédié aux frères Lumière écrit « De toutes les idées qu’il (mon frère Louis) a semées dans l’industrie d’art, la première en date et la plus féconde fut celle du cinématographe autrefois désigné par le terme de chronophotographie ». Dans la préface de cet ouvrage, le journaliste scientifique Emile Gautier écrit : « C’est le moment de rappeler que le secret de cette magie (le cinéma) -tout le contraire de la magie noire- avait été conçu, formulé, traduit en images réelles et durables il y a plus de trente ans par Louis Ducos du Hauron auquel l’histoire parfois aussi capricieuse que la fortune n’a pas su rendre justice... Il n’a cessé de travailler et de perfectionner sa découverte dont l’exploitation va sans doute apparier à d’autres, mieux servis par les circonstances, la gloire avec le profit ».
Dans un courrier que Louis Ducos du Hauron adressa aux frères Lumière en 1896 , on trouve cette remarque empreinte d'amertume « J’ai appris les considérables succès de votre Cinématographe […] Monsieur François Jenkins aurait imaginé un appareil baptisé par lui du nom de Phantascope […] Je vais vous faire une révélation que vous ne dédaignerez certainement pas. Il y a un grand nombre d’années j’imaginai non seulement le principe, mais tous les détails de cet art merveilleux. […] Je vous prie soin de garantir en ma faveur, par les moyens légaux, tous mes droits d’antériorité, de propriété de cette invention ».
Enfin citons cette autre remarque du neveu de Louis Ducos du Hauron, Gaston qui, dans une préface de « La photo des couleurs »[4] rappelle, alors qu’il venait d’assister à une projection des frères Lumière, la paternité de l’invention du cinématographe qui revient à son oncle.
Louis Ducos du Hauron est bien à l’origine du cinéma qu’il avait préfiguré avec génie. D’ailleurs comment expliquer, à l’inverse, que les frères Lumière aient racheté ses brevets d’invention de 1864 ?
Rendons à César ...
[1] « La préhistoire du cinéma », de Marc Azema, éditions Errance paris 2011.
>[2] Brevet n° 61 976 déposé en mars 1864 par Louis Ducos du Hauron auprès de l’Institut national de la propriété industrielle. L’association des Amis de LDH a pu, auprès de l’Inpi, obtenir un fac-similé de ce brevet auquel nous nous référons ici.
[3] Certificat d’addition pris le 3 décembre 1864 par Louis Ducos du Hauron auprès de l’Inpi
[4] Réédition de « La photographie indirecte des couleurs » Charles Mandel éditeur 1901.Préface de Gaston Ducos du Hauron neveu de l’inventeur .
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